ART & LAW
POLICE VS ARTISTES
La FIAC 2008 s’annonçait comme un succès avec une affluence journalière supérieure de 1.000 personnes par jour par rapport à 2007 ; mais ce sont des spectateurs surprenants qui sont arrivés le 24 octobre. En effet des policiers en civil sont intervenus pour décrocher des œuvres d’un artiste russe, Oleg KULIK, (http://www.art-and-you.com/breve-822.htm). Motif : les photos le représente parfois nu (mais on ne voit pas son sexe), notamment en laisse ou aboyant comme un chien (pour un exemple voir l’article de T. SAVATIER : http://www.paperblog.fr/1264982/police-morale-a-la-fiac/) ; cela serait de la zoopholie, donc de la pornographie.
Retour de la censure selon certains (C. MOULENE, les Inrockuptibles 11-17 novembre 2008 p. 12) ; cela y ressemble. Mais que peuvent penser nos esprits de juriste ?
L’intervention policière est-elle possible face au fond qui choque ? N’est-elle pas choquante dans sa forme ?
Les œuvres d’Oleg KULIK peuvent choquer évidemment ; le sentiment est ici éminemment subjectif et il va dépendre de chaque individu. En outre, il est fondamental d’élever nos enfants dans le beau, et l’art y contribue de manière phénoménale, et de les préserver des agressions de l’extérieur. Tout écart ne suffit cependant pas à constituer une infraction pénale. Pas plus le fait que l’œuvre puisse être considérée comme pornographique. L’Etat s’accommode en effet de la pornographie, en ayant mis en place par exemple un système de contrôle préalable de la classification des films et une fiscalité plus lourde des produits s’y rapportant. Il n’y a donc pas automatiquement d’infraction pénale face à de la pornographie.
Pour permettre l’application du droit pénal il faut un élément supplémentaire.
Le fondement de l’intervention policière était en l’espèce l’article L 227-24 du Code pénal qui dispose :
« Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.
Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ».
L’infraction est-elle constituée ?
Le point de départ est la définition de la pornographie, condition certes insuffisante mais nécessaire de l’infraction. Un juriste la définit ainsi :« la pornographie, c'est-à-dire des comportements en relation avec l'activité sexuelle » après avoir rappelé que :
« Il paraît établi que la simple nudité qui pourrait à certains égards constituer une exhibition sexuelle (V. supra JCl. Pénal Code, Art. 222-22 à 222-33-1, fasc. 20) ne peut être considérée comme pornographique (CA Douai, 16 mai 2007 : JurisData n° 2007-337309. – CA Agen, 26 nov. 2007 : JurisData n° 2007-356552). Des photos de nus d'enfants n'entrent donc pas dans la définition de la pornographie du moment qu'il ne s'y ajoute rien.
Il est probable qu'il sera jugé que la pornographie peut être constituée soit par des attitudes particulières du sujet, soit par son rôle auprès d'autres sujets mineurs ou majeurs, soit par le cadre général de l'image » (Michèle-Laure Rassat, JurisClasseur Pénal Code Art. 227-23 et 227-24, Fasc. 20 : mise en péril des mineurs).
Sur le fond, Oleg KULIK se défend de faire de la zoophilie, et donc de la pornographie ; en revanche il revendique le fait de réaliser des « performances zoophréniques » (cité par C. MOULENE précitée); comme le rappelle Martin Berthenod, directeur de la FIAC, « il ne s'agit pas d'images pornographiques mais de photographies prises dans le cadre de performances où l'artiste se met en scène de façon extrême, comme celles où il est un chien, nu avec un collier et se jette sur les gens ou les voitures en aboyant, en les mordant etc.. Le message de ces images n'est pas de prôner la zoophilie mais de se demander où sont les limites entre ce qui est humain et ce qui est animal. [... Au final] Cette décision a provoqué beaucoup d'émotion. Oleg Kulik est un artiste connu et reconnu dont les oeuvres sont régulièrement achetées par les musées nationaux en France comme à l'étranger. Les services de police ne sont jamais intervenus dans aucun autre pays » (cité in http://www.art-and-you.com/breve-822.htm). Il y aurait donc débat sur le caractère pornographique.
En outre, et plus généralement, s’il l’on étend l’application de l’article L 227-24 du code pénal à l’œuvre d’art (ce qui semble possible selon Madame RASSAT, op. cit. n°39 mais pas selon J. TOUBON, Ancien ministre de la Culture, cité par T. SAVATIER supra), de nombreuses œuvres d’art devraient alors être décrochées des musées même de ceux appartenant à l’Etat (voir en ce sens le billet fin de T. SAVATIER, qui évoque également à défaut, et plus justement, l’application de la loi pénale à ces cartes postales de mauvais goût (http://savatier.blog.lemonde.fr/2008/09/30/quand-des-postiers-censurent-un-artiste/; voir encore selon nous certaines publicités pour de la lingerie ou des vêtements et accessoires, qui sont autrement plus proches de la pornographie que les œuvres d’art).
Le second élément nécessaire pour retenir l’existence de cette infraction est l’intervention d’enfants mineurs. Or, sur le fond toujours, les enfants mineurs sont rares à la FIAC ; il est donc possible de soutenir qu’il manquait un élément matériel de l’infraction même si la jurisprudence semble avoir une vision extensive car elle estime que, dans les cas où les précautions prises pour empêcher les mineurs d’accéder au message pornographique sont reconnues insuffisantes, il n'est pas nécessaire que les productions aient été effectivement vues par des mineurs, il suffit qu'elles aient pu l'être (CA Paris, 13 mai 1998 : JurisData n° 1998-021413). Certes le texte de l’article L 227-24 du code pénal parle de message « susceptible d’être vu » mais cette vision jurisprudentielle nous paraît curieuse alors que loi pénale doit être d’interprétation stricte puisqu’elle porte atteinte aux libertés. S’il est démontré que les mineurs ne sont pas susceptibles de voir le message soit de fait soit au regard du contexte, l’infraction ne pourrait être retenue ; à défaut toute œuvre est susceptible d’être un jour vue par un mineur ! C’est d’ailleurs cet élément manquant qui devrait permettre à une autre victime d’échapper à l’application de cet article : Philippe Pissier ; cet artiste a en effet créé et utilisé de timbres postes à connotation érotique ayant choqué les membres d’un centre de tri postal qui ont dénoncé la situation, entraînant l’ouverture d’une enquête pénale et une perquisition au domicile de l’artiste avec saisie de certains de ses biens (T. SAVATIER précité). Mais quel mineur pourrait voir ce timbre dans le fonctionnement d’acheminement du courrier ? L’infraction ne serait donc pas constituée.
Il semble donc qu’aucune charge ne puisse finalement être retenue contre les galeristes russes et d’ailleurs qu’aucune ne le soit à ce jour.
La fin pénale de l’aventure de la FIAC est plus heureuse que celle, momentanée, d’Henry-Claude Cousseau mis en examen sur ce même fondement et pour la diffusion de l'image d'un mineur présentant un caractère pornographique après avoir organisé l’exposition Présumés innocents à Bordeaux (malgré une signalétique spécifique) ; s’agissant de cet autre cas, nous estimons que si l’élément matériel de l’infraction était a priori présent au regard des informations communiquées par les médias (malgré une signalétique spécifique, qui serait d’ailleurs plutôt un indice défavorable), l’exception culturelle que nous prônons (voir nos billets antérieurs) pour échapper à une condamnation pénale lorsque l’art est en jeu face à une éventuelle infraction pourrait jouer.
Pour ce qui s’est passé à la FIAC, au-delà du fond qui peut se discuter comme souvent en droit, la forme est choquante.
l’intervention policière à la FIAC aurait du être précédée d’investigations sérieuses avant l’arrestation et la garde à vue d’individus participant au développement de l’art russe dans le cadre d’un événement tel que la FIAC. A cet égard il est bon de rappeler que la garde à vue n’est possible en application de l’article 63 du Code de procédure pénale que dans des conditions strictes :
« L'officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l'enquête, placer en garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. ».
Ici, rien de tout cela manifestement : où étaient les nécessités de l’enquête ? où étaient les soupçons ? où était la commission d’infraction ?
Alors, pourquoi être intervenu ? En Russie, où l’affaire fait grand bruit, l’expression employée est celle « d’œuvre arrêtée ». Le seul arrêt acceptable pour nous (car l’arrestation est excessive) est celui de l’application extensive de l’application de l’article L 227-24 du Code pénal.
Ce d’autant plus que les œuvres auraient été remises aux organisateurs de l’exposition après leur saisie mais pas aux galeristes russes. Or cela n’a aucun sens sur la forme et sur le fond. Sur la forme, si les œuvres sont saisies dans le cadre d’un flagrant délit c’est qu’elles sont « utiles à la manifestation de la vérité » (article 56 du Code de procédure pénale) ou qu’il s’agit d’une « pièce à conviction » dans le cadre d’une enquête préliminaire (article 76 du Code de procédure pénale) ; à ce titre elles auraient du être conservées ; leur restitution démontre l’absence d’infraction. Sur le fond, et bien plus, les organisateurs auraient pu intellectuellement faire l’objet de poursuites sur le fondement même de l’article L 227-24 du Code pénal, en tant qu’auteur principaux ou de complices ; ce n’est donc pas à eux qu’auraient du être restituées les œuvres.
La forme démontre donc ici l’absence de fond du dossier.
Affaire à ne pas suivre…
Amaury SONET
Par Amaury SONET - Billets